Amateur d’uchronie, le livre de Jean-Marie Rouart (membre de l’Académie Française, lauréat du Prix interallié en 1977 et du Prix Renaudot en 1983) ne pouvait que me tenter. D’autant qu’il évoquait également la destinée du Général de Gaulle, autre sujet cher à mes lectures.
« Ils voyagèrent vers des pays perdus » est donc le récit d’une aventure historique incroyable mais que l’histoire aurait pu bien voir se réaliser.
Novembre 1942, la zone libre du territoire français est envahie par les allemands, ces derniers rompant ainsi l’accord de 1940 et coupant la France en deux zones. Pour protester contre cette invasion, le maréchal Pétain, poussé en sous-main par le président américain Roosevelt, quitte Vichy et part s’installer à Alger. De là, il demande à tous les français, hommes valides en âge de se battre, de le rejoindre pour reprendre le combat contre l’ennemi allemand.
Impensable me direz-vous car nous savons tous quels furent les choix de Philippe Pétain au lendemain de l’armistice signé à Retondes.
L’idée est venue à Jean-Marie Rouart d’une phrase réelle du Général de Gaulle tenu à son aide de camp :
« Que serai-je devenu si Pétain avait rallié la France Libre en 1942 ? »
Et bien c’est ce que tente de nous raconter l’auteur avec une certaine habileté, il faut le reconnaitre. Il s'amuse à l'imaginer dans une histoire quelque peu rocambolesque.
Le Général de Gaulle, désarçonné par la situation, songe tout d’abord à se suicider, se ravise, rencontre la Princesse Sablonski et Winston Churchill. Il demande à ce dernier de pouvoir quitter l’Angleterre à bord d’un navire de guerre. Le Premier Ministre britannique, trop content de s’en sortir à si bon compte, accède à la demande du Général.
Et voici l’homme du 18 Juin 1940 embarqué à bord de l’Aviso « Destiny » avec son carré de fidèles, mais aussi toute une cohorte de personnes plus ou moins louches.
Les premiers chapitres du récit, ceux correspondants à la découverte des personnages, à l'installation de l'intrigue et au début du voyage vers les « pays perdus » sont intéressants et bien construits. Jean-Marie Rouart y laisse courir son imagination débordante, laissant transparaitre quelques situations loufoques tout en n’omettant de pas de brocarder à l’occasion certains personnages historiques.
De Gaulle finit par arriver dans un port russe, voyage en troïka (tiens cela ressemble à la retraite de Russie de Napoléon...), assiste à une soirée Tzigane, visite la maison de Tolstoï, se dirige vers le Pamir pour se rendre dans un monastère zoroastrien.
Tout cela finit par un réveil brutal du général de Gaulle qui aurait bu un peu trop de whisky…
L’aventure se transforme en odyssée improbable, le pétillant de l’uchronie s'évente au profit d’une histoire quasi vaudevillesque. Vous l'aurez compris, ce voyage vers les pays perdus aura égaré le lecteur en chemin.
Il y a un côté Michel Strogoff dans ce récit avec son lot d’aventures et d’obstacles à surmonter, mais n’est pas Jules Vernes qui veut. Et si la description de Samarcande, foyer du zoroastrisme est particulièrement réussie, le livre est malheureusement alourdi par des scènes érotiques très répétitives au détriment des réflexions spirituelles du Général, trop clairsemées à mon goût.
De l’uchronie le livre n’en a que le nom, les personnages ont souvent les traits forcés desservant la crédibilité de l’histoire, les situations sont peu réalistes.
Et c’est dommage, car cela aurait pu être l’occasion d’un beau duel entre deux personnages historiques français. Mais peut-être l’auteur n’a-t-il pas osé toucher à la statue du Commandeur qu’est encore le Général de Gaulle, n’a-t-il pas souhaité réécrire l’histoire du Maréchal Pétain pour en faire le sauveur de la France. Peut-être était-ce encore trop tôt ?
Elles sont rares dans mes lectures, mais il faut le dire cette fois, ce livre est une déception, non pas que l’auteur manque de talent, mais parce qu’il ne l'a pas mis au service d’un livre qui aurait pu être d’une toute autre dimension s’il avait sauté le pas.
Pascal François
Ils voyagèrent vers des pays perdus – Jean Marie Rouart – Albin Michel – 01/2021 – 336 pages
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