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  • Photo du rédacteurHélène Shayma Andréoli

Kossi Efoui, Passeur de frontières - interviewé par Hélène Shayma Andréoli


Kossi Efoui est un dramaturge et romancier francophone. Il est né en 1962 au Togo et vit à Nantes depuis 1992. Il a publié une quinzaine de pièces de théâtre, des nouvelles et cinq romans aux édition du Seuil, dont La fabrique de cérémonies (2001), Grand prix littéraire d'Afrique noire, Solo d'un Revenant (2009), Prix Tropiques, prix Ahmadou-Kourouma, prix des cinq continents de la francophonie et Cantique de l'acacia (2017), (voir la chronique sur le blog).


APDL : Si tu devais te présenter en quelques phrases, que dirais-tu ?

KE : je dirais un homme ordinaire qui a entendu l'appel de la poésie, comme d'autres entendent d'autres appels ou vocations, et je me suis consacré à cette chose-là, mystérieuse, qui s'appelle la poésie, un terme dans lequel je mets tout ce qui à trait à l'écriture.


APDL : Quel est ton premier rapport aux livres et à l’écrit ? Pourquoi as-tu commencé à écrire ?

KE : J'ai beaucoup désiré les livres. Il y en avait très peu chez moi, à part mes manuels scolaires. J'ai lu de façon sauvage, je n'ai jamais su ce que c'était que les livres pour enfants. Dès que j'ai su lire, j'ai lu tout ce qui me tombait sous la main, comme par exemple la Bible qu'il y avait à la maison, en Français et en Ewe , ma langue maternelle (qui se prononce « évé ») ou bien un des rares romans qui existent en Ewe, paru au début du 20ème siècle. J'ai appris à lire en français, mais mon père m'a appris aussi à lire en Ewe. A l'âge de 12 ans, j'ai lu les Psaumes de David et vers l'âge de 14 ans l'Apocalypse de Saint Jean.

Puis, quand nous nous sommes installés à la capitale (Lomé), il y avait la bibliothèque du centre culturel français. J'ai beaucoup lu à cette époque-là, j'ai découvert les poètes et surtout Baudelaire, qui m'a accompagné toute mon adolescence. C'est ce qui m'a emmené à l'écriture, j'étais fasciné par l'effet que le poète pouvait produire sur moi, sur ma sensibilité. J'ai fait beaucoup de pastiches, depuis le collège, d'écriture « à la manière de ». J'avais vraiment l'impression que ces auteurs que je découvrais m'invitaient en littérature, en écriture et en poésie.


APDL : Quels sont tes autres engagements, à part l’écriture ?

KE : Samuel Beckett, à qui on demandait « pourquoi écrivez-vous ? » a répondu : « bon qu'à ça ! » . Si je pouvais, je reprendrais cette réponse à mon compte. A part les engagements d'ordre politique de tout citoyen, je n'ai pas d'autres engagements.


APDL : Je t'ai entendu une fois dire que l’écriture t’aurait sauvé la vie, peux-tu nous en dire un peu plus ?

KE : Je suis né en dictature et arrivé à l'âge où j'avais assez de colère en moi pour désirer la liberté, je me suis engagé dans des actions politiques qui m'ont valu d'être arrêté. Je venais d'écrire ma première pièce «Le carrefour» et j'avais gagné une bourse d'écriture au concours théâtral africain organisé par RFI. C'est aussi parce que RFI a diffusé l'information selon laquelle un écrivain togolais avait été arrêté que le gouvernement a pris la décision de me relâcher, car il ne tenait pas à ce qu'il y ait trop de publicité autour de ça. Le fait que RFI dise «un écrivain » a eu plus d'effet que si ça avait été «un étudiant». J'avais écrit une seule pièce, même pas encore publiée, mais le fait d'être désigné comme écrivain a pesé de tout son poids dans la suite des événements. Non seulement je suis sorti des mains des tueurs mais j'avais aussi cette bourse d'écriture qui m'a permis de quitter le pays. Je crois que je suis resté vivant grâce à cela.


APDL : Est-ce qu’écrire est un besoin pour toi ? Que représente pour toi l’acte d’écriture ?

KE : L'écriture me sauve la vie aussi au quotidien. Je considère l'acte d'écrire non seulement comme un acte de célébration de la vie mais aussi comme un exorcisme des forces hostiles qui agissent dans le monde. Je crois que je n'ai besoin de convaincre personne : nous sommes dans un monde qui est travaillé par des forces hostiles et l'écriture me permet de maintenir à distance ces forces. Je pense à Henri Michaux en disant cela, et à son recueil de poèmes intitulés «Épreuves exorcisme» (1940-1944). Je crois profondément à l'écriture comme un acte de fabrication de talismans.

APDL : Penses-tu qu’on peut dissocier l’écriture de l’engagement ?

KE : Tout dépend de ce qu'on appelle engagement. Si c'est l'engagement au sens politique et idéologique du terme, disons que je m'en méfie un peu, dans le sens où il y a derrière ça l'idée d'une sorte de bon côté, d'une écriture qui se situerai du bon côté. Mais qui décide du bon côté ? Un poète qui loue ses services à un dictateur, est-ce qu'il n'est pas engagé ? Il est engagé, du mauvais côté je dirais, mais engagé tout de même. C'est la question du bon et du mauvais côté qui me gène dans l'idée de l'engagement, au sens politique et idéologique. Mais si on entend dans engagement quelque chose qui n'est pas dissocié du réel, alors oui, l'écriture est intimement liée à l'engagement dans le réel. Je ne crois pas que la poésie soit un acte d'évasion hors du réel, je ne crois pas que l'acte poétique, l'attitude poétique, consiste à tourner le dos au monde ou à partir d'un désert, ou à s'éloigner des hommes. Au contraire, c'est prendre à bras le corps la réalité du monde. C'est en ce sens que j'entends l'engagement : la réalité dans toutes ses manifestations sociales, psychologiques, métaphysiques, l'invisible, le visible... C'est tout cela. Je ne dissocie pas l'acte d'écriture de l'ancrage dans la réalité et de la fréquentation de l'humaine nature.


APDL : On t'a parfois défini comme un « écrivain africain », et je t’ai entendu te définir comme un «vagabond», quel est ton positionnement sur la question ?

KE : Il y a le terme « écrivain africain » qui a été un moment employé à tort et à travers et qui semblait fonder l'idée d'une sorte d'écriture collective, comme si on reconnaissait et identifiait une écriture qui serait africaine. C'est contre cette idée là que je me suis élevé car je pense qu'il y a autant d'écritures qu'il y a de gens qui écrivent, quelque soit leurs origines. Aller chercher dans l'origine de l'auteur de quoi fonder une critique est une erreur, que cette origine soit géopolitique ou sociale. En tous cas, ça pèse très peu quand on veut parler de littérature. D'autant plus que pour moi la dimension universelle de la littérature, ce que Goethe appelait Weltliteratur, est quelque chose auquel je crois profondément. Et c'est pour ça que j'ai toujours eu un grand respect pour la figure du traducteur, car c'est le traducteur qui confirme cette intuition de l'universalité de la littérature. C'est le traducteur qui dit que tout ce qui est vécu et raconté dans une langue quelle qu'elle soit, tout ce qui traduit la sensibilité d'un être humain, quelle que soit sa culture, dit quelque chose à n'importe quel autre être humain, dans n'importe quelle langue. Et cette idée là me plaît plus que la quête des spécificités de quelque ordre que ce soit. Cela rejoint la question du vagabondage ou du vagabond : c'est le refus d'être assigné à une appartenance culturelle. C'est un peu pour moi ma façon de m'éloigner de la Négritude, de l'idée qu'on est surdéterminé par une culture dite Nègre, si on part de cette définition de la Négritude selon Senghor, et je précise bien selon Senghor car cette question est plus nuancée chez Césaire. Ce n'est pas vraiment un refus en fait, mais plutôt que je ne connais pas le sentiment d'appartenance, à part l'appartenance aux choses, à l'Océan, au Ciel, à la Lumière, aux plantes, aux animaux... Cette appartenance commune, oui, mais l'appartenance définie de façon identitaire est quelque chose qui pour moi est clanique. Même l'appartenance nationale n'est pour moi qu'une forme surdimensionnée du clan. C'est de cette appartenance-là dont je m'éloigne en vagabondant.