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  • Photo du rédacteurHélène Shayma Andréoli

Un océan, deux mers, trois continents - de Wilfried N'Sondé


« Maîtres, esclaves, ecclésiastique, sentinelles, marchandises, nous naviguions, liés les uns aux autres selon une échelle de subordination, chacun cherchant à écraser les plus faibles que lui. »


Un océan, deux mers, trois continents : les promesses d'aventures et de voyage du titre ainsi que la délicate illustration florale de la couverture ( par Michelle Morin) m'ont tout de suite attirée.


Je me laisse donc embarquer dans le périple de Nsaku Ne Vunda, raconté à la première personne par … son buste en bronze ! Érigé en l'an 1608 à Rome et familièrement appelé « Nigrita » (vous pouvez vérifier, il existe réellement !), ce buste rappelle la vérité historique, bien que romancée, des quelques 260 pages du roman.


Né en 1583 sur les rives du fleuve Kongo, Nsaki Ne Vunda semble destiné à une vie paisible, guidé par les principes de la foi catholique auxquels il a choisi de se consacrer. Mais le jeune prêtre est très loin d'imaginer ce qui l'attend. Son calme, son charisme mais aussi son innocence, le désignent comme la personne parfaite pour une charge d'envergure : représenter son peuple auprès de sa sainteté le pape Clément VIII. Le voici donc nommé par son roi premier ambassadeur du Kongo, lui qui n'avait jamais pensé quitter un jour sa chère chapelle ! Embarqué sur un navire pour un voyage qui se révélera beaucoup plus long et ardu que prévu et qui l’emmènera jusqu'au Nouveau Monde, seule sa mission secrète lui donne la force et le courage de supporter les épreuves : plaider la cause des esclaves africains auprès du Pape, afin que cessent les abominations du trafic d'êtres humains.


Le style ciselé et parfois même poétique de l'écriture, ainsi que la richesse du lexique, peuvent dans un premier temps retarder l'immersion du lecteur. Mais très vite, on se trouve emporté nous aussi, bercés par le rythme cadencé des phrases de Wilfried N'Sondé ainsi que par le roulis du Vent Paraclet, le navire chargé de mener notre héros à bon port.


Le récit, s'il ne manque pas d'aventures, de pirates et de complots, laisse également une grande place à l'introspection et à l'étude de l'âme humaine. Au fil des rencontres et des désillusions, le personnage principal affirme son caractère et son individualité tel un candide dont on n'oserait se moquer, tant nous paraissent cruelles et insurmontables les épreuves qui jalonnent sa route. Et pourtant... Armé de sa seule bonne volonté, de sa conscience et de sa foi, après avoir parcouru un océan, deux mers et trois continents, Nsaku Ne Vunda, rebaptisé Dom Antonio Manuel, parviendra jusqu'à Rome, sans jamais faillir ni sombrer dans le désespoir qui à chaque instant lui tend les bras.


De ce roman d'apprentissage récompensé par de nombreux prix littéraires (cf. fin de chronique), j'en retiens essentiellement une chose : les horreurs de l'esclavage, cet infâme commerce d'âmes et de corps humains rendu possible par la cupidité et l'hypocrisie humaine. Les descriptions n'ont pas besoin de s'étaler sur des pages et des pages : la plume de Wilfried N'Sondé parvient, en quelques tableaux plus vrais que nature, à glacer le sang du lecteur contemporain. Ressentir jusqu'à dans notre chair ce qu'ont vécu des millions d'êtres humains avant nous, en mesurer toute l'injustice, l'absurdité et la cruauté et se demander encore et encore : comment ? Comment a-t-on pu en arriver là ?


Wilfried N'Sondé a su faire revivre Nsaku Ne Vunda en retraçant son périple, ne laissons pas une nouvelle fois se perdre son cri d'espoir et de justice ! Souvenons-nous que dès le début du 17ème, plus de deux siècles avant son abolition définitive, des voix se sont élevées pour dénoncer l'inhumanité de l'esclavage. Ces voix, ne les laissons pas s'éteindre. Sachons reconnaître ce qu'elles portent en elles d'universel et joignons-nous au chœur de ceux qui n'acceptent pas l’inacceptable !


Je vous souhaite une bonne lecture, en espérant qu'elle fasse sur vous autant d'impression que sur moi !


« La révolte naquit d'abord au creux des poitrines, elle se transforma ensuite en idée fixe dans les cerveaux. Une frénésie. Puis elle éclata en un cri dans les gorges pour dire les lambeaux d'existence, lutter, affirmer qu'ils existaient encore : leur dernier vestige d'humanité. Enfin, elle habita les muscles, grinça entre les dents serrées et finit par irradier les yeux en feu. »


Hélène Shayma Andréoli


Un océan, deux mers, trois continents - Wilfried N'Sondé – Actes Sud – 02/2018 -178 pages


Prix Ahmadou Kourouma 2018, prix du Livre France Bleu/Page des libraires 2018, prix des lecteurs l'Express-BFMTV 2018.

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