Profitons des fêtes pour nous intéresser à un ouvrage un peu différent des chroniques habituelles du site, mais qui aborde un sujet ô combien romanesque : les derniers mois d’existence des Beatles.
« Get Back » est bien entendu un formidable documentaire monté de main de maître par le grand réalisateur néo-zélandais Peter Jackson. Mais c’est également un livre magnifique, riche de somptueuses photographies et de la transcription intégrale des dialogues captés entre les musiciens. Il comprend également une très pointue et ciselée préface de Hanif Kureishi, célèbre écrivain britannique et fan du groupe. Nous évoquerons librement dans cette chronique le livre ou le documentaire, sachant qu’ils sont totalement complémentaires et peuvent aussi s’apprécier indépendamment l’un de l’autre.
Le pitch : nous sommes en janvier 1969, les Beatles viennent de triompher avec leur Album Blanc qui pour la première fois cependant sonne plus comme la juxtaposition d’efforts individuels que comme un véritable travail de groupe, notamment au niveau de la composition. Depuis 1966, The Beatles ne fonctionnent plus tout à fait comme les autres groupes de rock : ses membres ont décidé d’arrêter de se produire en public faute de moyens techniques permettant de couvrir les cris hystériques des innombrables fans qui se ruent à leurs concerts. La vie collective des Beatles repose donc sur des séances d’enregistrement très rapprochées qui leur permettent de donner libre cours à une inspiration alors sans limite.
Afin de rompre avec cette « routine », ils décident de changer de cadre et d’investir un immense studio à Twickenham afin de tenter de retrouver la pureté artistique de leurs débuts. Leur objectif est de composer et enregistrer un nouvel album, puis trois semaines plus tard l’interpréter en live, dans un lieu restant à définir mais de préférence surprenant et audacieux. Les choses ne se passeront finalement pas tout à fait comme prévu…
Toutes les répétitions sont filmées et enregistrées en vue d’un documentaire qui devait sortir en même temps que l’album. Le film qui en résultera paraîtra finalement fin 69, après le split des Beatles. Il restera plutôt confidentiel mais alimentera la légende d’un groupe en déliquescence où plus personne ne se supportait.
Cinquante ans après, Peter Jackson a exhumé tous les documents vidéo et audio qui dormaient dans les archives des studios Apple et les a patiemment restaurés et montés. Le résultat est un documentaire de sept heures ainsi que ce livre. Ces œuvres nous proposent une fascinante immersion dans l’espace créatif et dans l’intimité du groupe de musique populaire (Pop ou Rock peu importe) le plus remarquable de l’histoire.
Nous y découvrons quatre jeunes hommes âgés alors d’une trentaine d’années, chacun à un tournant de sa vie qui l’éloigne peu à peu de ce qui constituait jusqu’alors sa principale raison d’être : le groupe.
John Lennon est engagé depuis mai 68 dans une relation fusionnelle avec Yoko Ono, artiste avant-gardiste japonaise avec laquelle il se mariera en Mars 69. Le documentaire les montre véritablement collés l’un à l’autre en permanence, dans un dialogue silencieux mais constant.
Paul Mac Cartney est amoureux de Linda Eastman, brillante photographe qui réalise d’ailleurs près de la moitié des clichés du livre et qui deviendra sa femme en 1969 également. Il semble de plus en plus tenir le groupe à bout de bras, tant artistiquement que dans son organisation générale, et ne ménage pas sa peine pour maintenir en place un édifice vacillant. Ceci lui est ponctuellement reproché par John et Georges mais toujours néanmoins avec calme et respect.
Georges Harrison poursuit sa quête de liberté : après ses escapades spirituelles hindouistes, il vit souvent loin de Londres et multiplie les collaborations artistiques, par exemple avec Eric Clapton ou Bob Dylan. Il compose énormément mais peine encore à s’affirmer totalement au sein des Beatles et à imposer ses musiques. Il quittera brièvement le groupe durant les sessions avant de revenir quelques jours plus tard non sans avoir imposé quelques conditions qui lui permettront enfin de briller un peu plus. On sent cependant que les Beatles ne lui permettent plus un plein épanouissement.
Ringo Starr enfin, légèrement plus âgé que les autres, semble de son côté toujours un peu ailleurs. Il a failli quitter le groupe quelques années auparavant, et semble depuis s’être fait une raison. Il contribue fortement à l’unité de l’ensemble par sa bienveillance et son enthousiasme pour les musiques de ses acolytes. Ringo se met pleinement au service du collectif en acceptant un rôle de comparse, alors que son niveau musical, comme celui de Georges, s’améliore fortement durant cette période et que son envie de créer s’accroît.
Le résultat est formidable, tant sur papier qu’à l’écran : nous sommes conviés à partager des séances collectives passionnantes par l’élan créatif qui les baigne et par ce qu’elles nous révèlent des liens, spéciaux et très forts, entre les protagonistes.
L’ensemble respire la joie de vivre, créer, plaisanter, être ensemble, même si la fin semble inexorable et finalement logique voire banale. On est vraiment très loin des clichés sur l’ambiance prétendument délétère de ces sessions. Chacun avait simplement, à sa façon, trouvé des raisons de vivre plus importantes que le « monstre » qu’ils avaient créé. Tout le reste : les disputes mesquines, les rancœurs, les conflits personnels, la violence et la mort ne viendra qu’ensuite. Une fois qu’ils se seront éloignés pour se trouver sous des influences plus ou moins bienveillantes envers ce qu’ils avaient été et resteront finalement toute leur vie : des Beatles.
Le dernier concert en apothéose, sur les toits du 3 Savil Row, servira finalement la légende : un final au sommet, par dessus la grisaille londonienne, plus près des étoiles…
Pour l’anecdote, le disque « Let it Be » (pas leur meilleur) issu des sessions filmées sortira finalement après « Abbey Road », ultime chef d’œuvre et acmé musical du groupe enregistré dans la foulée du documentaire. Il faut écouter leurs voix conjuguées s’élever divinement dans « Because » ou prononcer leurs derniers vers « And in the end, the love you take is egual to the love you make » pour comprendre que la grâce ne les a jamais quittés.
Un très beau livre picturalement, et une lecture indispensable pour tout fan : des Beatles, de musique, des années 60, de création artistique, de travail collectif, de belles histoires qui ont une fin…
Eric Le Ker
Get Back - par The Beatles - Ed Seghers - 10/2021 - 248 pages
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