Dans ce roman La Société des Belles Personnes, sorti en Août 2020, Tobie Nathan donne une suite à Ce pays qui te ressemble, paru en 2015, et dont nous avons publié une chronique le 18 mai dernier ( voir la chronique ).
Le premier roman évoquait la vie de la communauté juive dans l’Egypte de la première moitié du XX° siècle, où se mélangeait juifs, arabes, chrétiens, sans que cela ne pose de problème. Ester, mariée à Motty, donnait naissance à Zohar et vivait à « Haret el Yahoud » - la ruelle des juifs - , dans le quartier juif du Caire. La vie semblait ainsi établie pour durer. Avec La Société des Belles Personnes, l’auteur nous emmène dans la seconde moitié du xx° siècle.
1952, l’Egypte n’est plus un pays tolérant pour la communauté juive. Pendant la seconde guerre mondiale, les égyptiens ont accueilli plutôt favorablement les allemands, pour se sortir du joug du protectorat anglais. Le poids des frères musulmans, mouvement islamiste radical, se fait de plus en plus sentir. D’anciens militaires nazis continuent de servir dans l’armée égyptienne. Gamal Abd El Nasser va prendre le pouvoir avec à ses côtés Anouar el Sadate. Zohar doit fuir son pays…
Cimetière de Pantin, par un matin de printemps pluvieux, François assiste à l’enterrement de son père Zohar. Un père qu’il n’a pour ainsi dire pas connu. Ils ne se sont retrouvés que quelques mois avant ce jour funeste, Zohar lui avait téléphoné. Autour de lui l’Egypte est présente pour enterrer son mort, avec ses traditions : avec la simsimiya, la lyre égyptienne, les danseurs en tenue blanche ceinturée de rouge… François lui récite le Kaddish, la prière des morts pour les juifs.
Le roman, par la voix de Livia, une vielle italienne qui a accueilli Zohar à Naples, retrace la vie de ce dernier jusqu’à ses derniers jours à Paris. Il exercera plusieurs métiers dont celui de chauffeur du roi Farouk, en exil en Suisse.
Puis on retrouve Zohar à Paris associé dans un commerce de fourrures avec Aaron et Lucien. Trois rescapés de l'enfer, une fratrie douloureuse, ils partagent leurs repas, leurs secrets, leurs amours et leur désir de vengeance. L'auteur nous décrit l'agitation de l'après-guerre, les petits groupes de vengeurs qui n'hésitent pas à mettre deux balles dans la tête des salauds, des collabos, les traitres, les fumiers..
Tobie Nathan nous promène ainsi dans l'Histoire, avec des allers et retours entre présent et passé, entre le Caire et Paris, entre autres, et donne à chaque chapitre une coloration particulière. Il évoque au Caire la triste fin du roi Farouk, l’islamisation de la société. A Paris, c’est l’époque de la chasse aux collabos associée à des expéditions punitives.
Zohar évolue au milieu de tout cela jusqu’à sa rencontre avec Marie. De leur amour naitra François…
Avec ce livre l’auteur met en mots la souffrance des victimes de la barbarie nazie et l'impossible résilience, l'exil et l'indispensable renaissance. Il questionne la justice quand elle prive la souffrance de sa spécificité, le pardon qui ne guérit pas la vengeance. Il écrit le temps du récit historique, le temps de la légende, le temps sacré. Il écrit le temps de la reconstruction.
Et comme toujours avec Tobie Nathan, on retrouve un récit romanesque sur fond de questions essentielles : comment assumer ses racines et l'héritage familial ? Que faire de la nécessité de se venger ? Après un drame, peut-on recommencer une nouvelle vie ou ne fait-on que la répéter ? C’est également un livre qui questionne sur l’identité, sur l’exil. On y fait de belles rencontres. Certains drames peuvent être à l’origine de belles amitiés.
Et puis il y a « la société des belles personnes » une confrérie de femmes, dans un quartier populaire du Caire avec leurs chants, leurs musiques, leurs rites, leurs magies. Elle a dit : Souviens-toi qu'au moment de ta naissance tout le monde était dans la joie et toi dans les pleurs. Prends exemple sur ton père. Fais en sorte qu'au moment de la mort, tout le monde soit dans les pleurs et toi dans la joie ».
Cette joie, joie intérieure, est celle de François qui bien que ne connaissant pas son père, en accepte l’héritage.
Tobie Nathan enchante une nouvelle fois le lecteur, par son art du récit, son talent du détail qui donne le sentiment d’être au cœur de l’histoire. Une lecture envoutante qui mélange musique d’orient et celle des années 60 et renvoie l'homme à la rencontre de son destin.
Bonne Lecture.
Pascal François
La Société de Belles Personnes - Tobie Nathan - Stock - 08/2020 - 432 pages
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