
Ce premier roman pourrait se dérouler au Cameroun, pays d’origine de l’auteure qui vit à Paris. Mais elle a préféré évoquer une république africaine subsaharienne fictive, le Zambuena, ce qui lui laisse toute liberté pour caricaturer et souligner les défauts de ces régimes gangrenés par une corruption généralisée, un vieux dictateur entouré d’une cour d’affidés et une homophobie érigée en loi.
L’héroïne, Katmé, a treize ans à la mort de sa mère Madeleine, absente depuis longtemps et enterrée à la va-vite dans un cercueil trop petit sur un lopin de terre isolé, par souci d’économie. Le ton du roman est donné : un humour froid sans concession, acide, atténué parfois par une écriture émouvante, sans apitoiement inutile.
Vingt ans plus tard, Katmé a fait des études d’économie sociale et pourrait enseigner. Elle a une position sociale élevée mais son mari, Tashun, lui interdit de travailler afin qu’elle serve au mieux ses ambitions politiques illimitées. Actuellement préfet d’une grande ville, il fait une campagne éhontée pour devenir gouverneur de sa région du Haut Fenn.
"Les Aquatiques" est le nom d'un quartier populaire en voie de paupérisation, presque un ghetto. C’est là que vit Samy, un « garçon-fille », l’âme sœur de Katmé. Il est artiste peintre et sculpteur, très brillant mais marginal à l’égard de l’ordre établi, loin des contingences matérielles. Il prépare une exposition provocatrice qui va lui attirer les foudres officielles. Quand sa situation s’aggrave suite à son incarcération, Katmé se démène inutilement pour l’aider et sa vie bascule dans une lutte désespérée contre le système en place et la perversion de son époux. Comment sauver Samy ?
Elle prend conscience qu’elle vit au rabais malgré sa position sociale. Fini les compromis toujours en sa défaveur, de la soumission totale envers un mari ambitieux. Et l’ordre ancestral : « une fille ne se définit que par son père et son époux » n’est qu’humiliation.
Elle est en pleine crise identitaire et doit y faire face sans l’aide de Samy, son double. Soit elle poursuit sa vie bien rangée en le trahissant, soit elle se rebelle contre la société et son époux en existant par elle-même, avec les difficultés matérielles qui en découleront et surtout en risquant de perdre ses filles jumelles.
Katmé est fragilisée et a perdu tous ses repères et l’écriture sèche et brutale d’Osvalde Lewat accentue l’aspect dramatique de la situation, le sentiment d’incertitude et de danger.
« Mais enfin, qu’est-ce que l’amour a à voir avec le mariage ?(…). Notre pays étant ce qu’il est, si tu quittes ton mari, ne te fais pas d’illusion, on ne te fera aucun quartier. Si c’est ton mari qui te quitte, on te critiquera de ne pas avoir su le garder, mais au moins on te conférera le statut de victime. »
Le statut général de la femme africaine est un drame ancestral sauf dans de rares ethnies matriarcales. C’est un très bon premier roman sans concession ni indulgence pour les hommes tout-puissants. Le problème de l’homophobie demeure prégnant et entraîne une réflexion profonde sur les jeux de pouvoir dans la société africaine contemporaine.
Bonne lecture !
Eliane Mazerm
Les aquatiques – Osvalde Lewat – Ed. Les Escales – 08/2021 – 304 pages
Merci pour cette chronique qui donne envie de découvrir le roman. Belle journée et au plaisir de vous lire.