Pascal Francois
Axel Kahn, la vie en héritage - par Pascal François

Axel Kahn, 76 ans, nous a quitté hier matin.
Il a accordé son dernier entretien à Francois Busnel dans le cadre de la Grande Librairie du 23 Juin dernier, après avoir annoncé récemment qu’il était atteint d’un cancer et qu’il ne lui restait plus que quelques jours, quelques semaines à vivre.
Ce grand scientifique, médecin, hématologue, généticien, que j’ai eu le plaisir de rencontrer lorsqu’il était Président d’Université, était aussi un homme de lettres à la pensée profonde qui aura marqué de son empreinte le XX° siècle tant par ses travaux scientifiques que par ses écrits. C'était aussi le frère du journaliste Jean-François Kahn.
Homme de gauche, il a toujours été un humaniste engagé. Selon lui « On est ce que l’on fait. Seule l’action importe ». La vie d'Axel Kahn sera celle de l'engagement permanent : scientifique avec des prises de position sur de nombreux sujets, politiques, éthiques, moraux, au travers de responsabilités associatives. Il a été de nombreuses fois retenu comme expert dans de grandes commissions françaises et européennes pour ses compétences et sa pensée. Il était, jusqu'au 31 Mai 2021, le président de la ligue nationale contre le cancer.
En complément de ses publications scientifiques, il a écrit tout au long de sa vie de nombreux essais philosophiques et éthiques sur le sens profond de la vie et l’action donnée à la sienne.

A 26 ans, en 1970, il vit une épreuve terrible avec le suicide de son père Jean Kahn, enseignant et philosophe. C'est seulement 47 ans plus tard, en 2017 qu'il se "délivrera" de ce poids au travers d'un livre " Jean, un homme hors du temps".
Axel y donne la parole à son père, en y faisant défiler à vive allure ses engagements politiques, ses relations tumultueuses avec les femmes, avec en toile de fond l'essentiel de l'histoire de France du XX° siècle, les crises et ébranlements de tous ordres, économiques, littéraires et personnels. Un livre vibrant et déchirant à la mémoire de son père, comme une réhabilitation posthume.

Un autre livre d'Axel Kahn, " Etre Humain, pleinement", paru en 2016, traite d'un sujet passionnant : l'altérité, la reconnaissance de l'autre dans sa différence. Au travers d'une fiction, il évoque les destinées de Dewi et Eka, sœurs jumelles nées à Bornéeo. L'une, Dewi, est sauvée d'un effroyable incendie alors que l'on croit sa sœur morte. Elle deviendra l'une des femmes les plus brillantes de sa génération et recevra le prix Nobel de physiologie et médecine. En fait Eka, la sœur, sera recueillie par une femelle orang-outan qui l'élèvera. Réintégrant à dix ans la société humaine, elle restera une enfant sauvage, avec un grave retard mental.
Comment chez l'une a pu se développer un billant épanouissement alors que pour l'autre rien ne s'est enclenché ? C'est la réflexion conduite par ce livre de fiction.
Axel Kahn était aussi un marcheur-philosophe, à l'instar de Théodore Monod, même si leurs territoires de marche n'étaient pas les mêmes. Par deux fois, en 2013 et en 2014, il a traversé la France à pied, seul, parcourant plusieurs milliers de kilomètres.. De ces deux "pèlerinages intérieurs", il tire deux livres "Pensées en chemin" et "Entre deux mers", deux chemins de réflexions et de pensées intérieures.

"Pensées en chemin", où il traverse la France des Ardennes au pays basque, est un itinéraire buissonnier de la Meuse, en passant par Vézelay, haut lieu de pélerinage spirituel, le Morvan, les Causses puis le chemin de Compostelle. Lui qui se disait agnostique, a cherché à côtoyer le divin.
Axel Kahn y livre un carnet de voyage drôle, parfois rêveur, mais en même temps une réflexion sur l'état de notre pays, la désertification de certaines régions, les effets ravageurs de la mondialisation. Et l'humaniste engagé ne s'est pas effacé derrière le marcheur penseur car il y dénonce la rupture dune partie de la population de la vie politique,, y raconte la vie des gens d'un bout de la France ordinaire, celle dont on ne parle jamais.
