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  • Photo du rédacteurHélène Shayma Andréoli

Eldorado - de Laurent Gaudé


"au plaisir de lire" est ravi de vous présenter Hélène Shayma Andreoli, nouvelle chroniqueuse sur le blog. Après des études à l'université de Franche-Comté, puis de Catane en Sicile et un Master de Lettres Modernes passé à la Réunion, elle s'engage dans l'enseignement comme professeur de français. Elle exerce en collège à Mayotte où elle vit. Passionnée de lecture, elle va nous apporter un éclairage et une diversité supplémentaires. Un plus pour vous lecteurs !


J'ai découvert Laurent Gaudé avec « Danser les ombres » qui, sous une intrigue que je pensais classique, a tout de même fini par me bouleverser. Depuis, j'ai eu le temps de lire quelques autres de ses 10 romans publiés chez Actes Sud, et si tous n'ont pas été faciles à lire, je peux dire que tous m'ont transformée.

Eldorado n'est pas le dernier livre publié par Laurent Gaudé mais c'est le dernier que j'ai lu et je suis heureuse de vous le présenter pour cette première chronique sur "au plaisir de lire".


A l'instar du Soleil des Scorta, récompensé en 2004 par le prix Goncourt et traduit dans 34 pays, Laurent Gaudé choisit le sud de l'Italie pour y dérouler son intrigue. Mais cette fois-ci, on quitte les bandits de grand chemin et les traditions d'un autre siècle pour retrouver l'Italie d'aujourd'hui, à laquelle l'auteur est lié par son épouse et sa belle-famille. Avec Eldorado, il nous plonge dès les premières pages dans l'ambiance du célèbre marché aux poissons de Catane, en Sicile.


Mais l'Italie n'est pas le sujet du roman, elle n'est que le point de départ d'un voyage qui nous mènera bon gré mal gré jusqu'aux tréfonds de l'être humain, comme chacun des romans de Laurent Gaudé. Cette fois, l’écrivain choisit de s’atteler au difficile sujet des migrants, partis des ports libyens ou tunisiens avec pour objectif les côtes siciliennes et la petite île de Lampedusa, où les attend le plus souvent un centre de rétention, ou parfois l’espoir d’une vie meilleure pour les plus chanceux. On fait la connaissance de Salvatore Piracci, officier de marine de quarante ans à la vie bien rangée, ainsi que de la mystérieuse ombre qui semble le suivre à la trace, bien décidée à obtenir ce qu’elle est venue chercher. On traverse ensuite la Méditerranée pour se glisser dans la peau de Soleiman et Jamal, deux frères soudanais, qui font leurs adieux au quartier de leur enfance à l’odeur du thé à la menthe et à leur vieille mère pour un voyage de la dernière chance. Voyage qui ne saurait avoir de retour mais qui pourtant multipliera les détours, au fil des rencontres, des opportunités et des désillusions.

Capitaine de navire, migrants, passeurs, hommes, femmes et enfants : les destinées se croisent et se décroisent, au propre comme au figuré, d'un côté ou de l'autre de la Méditerranée. Le bien et le mal se confondent et s'inversent sans cesse, pendant que chaque personnage tente de franchir les frontières physiques ou morales qui le séparent de son Eldorado personnel.

Encore un roman puissant, juste et remuant, porté par une écriture fluide, épurée et pleine de silences, romanesque et tragique à la fois. Le ton se fait tour à tour dramatique, philosophique et même spirituel, parfois à la manière d’un Vieil homme et la mer d'Hemingway.

L'actualité rejoint l'universel lors de cette traversée des mers et des déserts et pousse chacun de nous à s'interroger sur ses propres frontières intérieures et sur une humanité trop souvent naufragée. La délicate question des migrants quitte le domaine du politique pour entrer dans celui infiniment plus délicat et intime de l’humain. Chacun des personnages semble nous défier et nous poser silencieusement la question : « et vous qu'auriez-vous fait à notre place ? »


Laurent Gaudé ne nous donnera aucune réponse à travers ce roman, mais les interrogations qu’il soulève flotteront certainement dans la tête du lecteur un peu plus que le temps d’une lecture.


« Je me suis trompé. Aucune frontière n'est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi. Nous avons cru pouvoir passer sans sentir la moindre difficulté, mais il faut s'arracher la peau pour quitter son pays. Et qu'il n'y ait ni fils barbelés ni poste frontière n'y change rien »


Hélène Shayma Andreoli


Eldorado - Laurent Gaudé - Actes Sud - 08/2006 - 240 pages



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