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  • Photo du rédacteurEric Le Ker

Juste une ombre - de Karine Giebel


Il est parfois agréable de laisser venir l’envie avant de se plonger dans un récit : une image intrigante, un thème qui vous attire, une quatrième de couverture alléchante (du type « Stephen King n’en a pas dormi pendant une semaine ») et votre imagination galope sans que vous ayez forcément envie d’interrompre cette montée progressive du désir…. C’est ce type de rapport que j’ai entretenu plusieurs mois (ou années ?) durant avec ce roman de Karine Giebel, auteure dont je n’avais encore rien lu mais disposant d’une base de fans conséquente et motivée.


Née en 1971 et juriste de profession, elle s’est lancée dans l’écriture en 2004, avec depuis un beau succès public et critique, ponctué de multiples récompenses dont le prestigieux prix du meilleur roman français au festival du polar de Cognac en 2012 pour « juste une ombre ».


Elle s’est spécialisée dans le thriller psychologique, ses romans sont traduits en neuf langues et certains ont déjà été adaptés pour la télévision (« jusqu’à ce que la mort nous unisse » en 2018).


« Juste une ombre », son sixième roman, est souvent considéré comme son meilleur à ce jour. Il met en scène Cloé Beauchamp, jeune trentenaire parisienne à qui tout réussit. Elle cumule succès professionnel, en passe d’être choisie comme directrice générale d’une grande agence de publicité, et sentimental : rien ni personne ne lui résiste, surtout pas le charmant Bertrand avec lequel elle est en couple depuis plusieurs mois.


Mais un soir, alors quelle rentre tard chez elle, son univers « parfait » s’effondre lorsqu’elle se trouve nez à nez avec « l’ombre » : un homme de grande taille dont elle ne verra pas le visage dissimulé par une capuche, mais qui va dès lors s’ingénier à faire de sa vie un cauchemar. Comme le Horla de Maupassant, l’ombre va boire la beauté et la santé mentale et physique de Cloé (son « ange ») en la terrorisant, et en la maintenant en permanence dans le doute quant à la réalité de ses multiples manifestations, des plus subtiles (objets qui changent de place, apparitions furtives) aux plus ostensibles.


Alors que le finalement fragile univers relationnel, personnel et professionnel, de Cloé s’effondre, un flic cynique et désespéré, Alexandre Gomez, vient à son secours ; il ne vit plus que pour accompagner la vaine lutte de son épouse adorée contre une maladie incurable. Cloé va s’accrocher à cette bouée dans la tempête, mais est-il encore possible de la sauver, et d’ailleurs le mérite-t-elle le vraiment ?


Karine Giebel prend un malin plaisir à martyriser ses personnages auxquels il est difficile de réellement s’attacher tant elle s’ingénie à en exacerber les défauts et les failles. En poussant les situations à leur paroxysme, elle dévoile la part sombre de chacun, notamment Cloé à qui rien ne sera épargné : l’auteure semble avoir construit l’image d’Epinal de la parfaite executive woman pour mieux la torturer et la salir. Elle évite cependant l’écueil de l’excès d’hémoglobine et les artifices horrifiques trop faciles pour se concentrer sur la torture psychologique ; ce n’est pas la moins violente.


Au service de cet exercice de déconstruction, le style dans lequel le roman est rédigé est très immersif : Karine Giebel multiplie les points de vue sur ses personnages, tantôt par le partage de leurs pensées et sentiments intimes avec une écriture à la première personne, parfois à travers les yeux d’un autre, ou encore au moyen de plans larges qui offrent une perspective étendue. C’est de mon point de vue la principale qualité du livre, ce travail proche de celui d’un metteur en scène de cinéma qui nous offre de multiples angles de vue sur une intrigue finalement assez classique et raisonnablement prévisible.


« Juste une ombre » semble beaucoup plaire à nombre de lecteurs, aficionados ou nouveaux adeptes de Karine Giebel. Pour ma part je le recommande sans enthousiasme particulier, je regrette à vrai dire un peu la période où il trônait sur mon étagère, revêtu de ses plus beaux atours d’espoirs et de mystère. J’avais probablement placé la barre de mes attentes un peu trop haut…


Eric Le Ker


Juste une ombre – Karine Giebel – Ed. Fleuve Noir - 2012


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