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  • Photo du rédacteurEliane Mazerm

La décision - de Karine Tuil


Derrière les procès très médiatisés des auteurs d’attentats terroristes sur le sol national, j’ai toujours été intriguée par la personnalité des juges antiterroristes, comme Marc Trevidic ou le juge Bruguière, eux qui doivent apprécier en leur âme et conscience la dangerosité d’un individu pas très net dans ses affirmations, avec le risque d’une taqiya (technique de dissimulation enseignée par Daesh). Ils font parfois un pari risqué sur l’avenir.


Karine Tuil, auteure d’une dizaine de romans, aborde ce thème avec comme personnage principal Alma Revel, 49 ans, juge antiterroriste dans l’aile ultra-sécurisée du Palais de Justice de Paris.


Son mari, écrivain sur le déclin malgré un prestigieux prix littéraire s’isole et se tourne vers un judaïsme orthodoxe. Leur couple est désintégré et Alma est amoureuse d’un célèbre avocat, Gabriel, fils d’une grande famille parisienne, qui défend les terroristes.


Le nœud de l’intrigue est cette affaire qui les réunit en la personne d’Abdeljelil Kacem, d’origine algérienne (23 ans) parti en Syrie avec sa jeune épouse portugaise, enceinte, rencontrée sur Internet. A leur retour, elle est mise sous contrôle judiciaire et son mari en détention provisoire. Le dossier est presque banal. Le couple avait des aspirations communes, libérer le peuple syrien de la barbarie de Bachar El Assad. Déçus par leur expérience, ils rentrent en France et sont interrogés pour évaluer l’opportunité de libérer ou maintenir Kacem en détention.


Le récit est parsemé d’incises qui relatent les extraits de l’interrogatoire. Les réponses du jeune homme ne varient pas, elles sont logiques, il est sûr de lui et de ses convictions actuelles après l’expérience malheureuse avec Daesh, n’a aucun regret après avoir adhéré un certain temps à un islam rigoureux ; il a été déçu par la propagande mortifère du Califat et ses fausses promesses.


« La relation entre le juge et le mis en examen a ses ressorts, ses zones d’ombre. L’individu dépend de nous : un lien et tout change. Dans notre bureau, il est regardé pour lui-même. C’est un dialogue intense, étrange entre deux êtres qui auraient pu ne jamais se rencontrer, qui se retrouvent malgré eux dans un rapport complexe, entre distance et proximité, autorité et confiance. »


Mais après un long interrogatoire, vient le temps des décisions. La juge doit-elle remettre AK en liberté sur la foi de ses dires ? Dans sa vie personnelle, peut-elle raisonnablement entamer une liaison avec l’avocat de son client, qui ne veut qu’une chose, sa libération et va tenter de l’influencer dans son choix professionnel avec des arguments implacables ? Il lui faut décider pour la société qu’elle représente et pour elle-même.


Karine Tuil pousse à son paroxysme la conséquence de la décision professionnelle d’Alma, le suspens va crescendo et illustre parfaitement l’importance du mot « décision » et la responsabilité que ce mot revêt.


« La Décision » est un roman exceptionnel dans lequel sont explicités les termes de radicalisation et d’intégration, la religion déformée par le fanatisme, une idéologie toxique et meurtrière, le désir de mort ou la pulsion de vie. La justice est envisagée sous son double aspect, instruction et défense.


Le quotidien d’un juge antiterroriste est difficile, et l’auteure signale qu’elle est soumise à une certaine discrétion pour des raisons sécuritaires. Marc Trevidic, après son départ de cette section, en dévoile davantage dans un autre ouvrage ce qui lui vaut de faire face à toutes sortes de menaces possibles. Il ne se déplace qu’escorté d’officiers de sécurité, toujours sous pression, avec un avis parfois différent de celui de ses collègues. Un carcan très contraignant l’empêche d’exercer en toute sérénité. Mais où se loge la bonne Décision ?


Eliane Mazerm


La décision - Karine Tuil - Ed. Gallimard - 12/2021 - 295 pages


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