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Céline Bentz, des racines familiales à l'écriture - interview de Pascal François


Aujourd’hui notre Portrait d’Auteur est consacré à Céline Bentz, jeune romancière qui vient de faire paraître aux éditions Préludes son premier roman « Oublier les fleurs sauvages ».


Nous vous recommandons la lecture de la chronique de ce coup de coeur du Blog, publiée le 24 Aout dernier ( lire la chronique).


APDL : Céline, avant de vous poser nos questions, laissez-moi vous présenter : Vous vivez à Strasbourg, vous avez fait des études littéraires complétée par Sciences Po Paris, Vous avez été enseignante, et travaillez aujourd’hui à la Présidence de la Région Grand Est……. Vous avez ajouté une corde à votre arc en devenant romancière !


J’ai en fait deux premières questions à vous poser : Ai-je oublié quelque chose à propos de vous, sur votre parcours de vie ? Quand vous vous dites, « Ça y est je suis romancière », quel sentiment avez-vous ?


CB : Merci beaucoup pour cette proposition d’interview qui me fait très plaisir. Il me semble que votre présentation est complète et que vous êtes bien renseigné.


Pour ce qui est de ce statut nouvellement acquis de romancière… je ne réalise pas du tout pour le moment. Je crois avoir toujours écrit, depuis que je suis au CE1 en tout cas. Publier un roman est mon rêve d’enfance mais j’ai toutes les peines du monde à me dire que c’est à présent une réalité. Je pense que j’en prendrai progressivement conscience, à force d’en parler autour de moi et d’avoir des retours de lecteurs.


APDL : Vous m’avez dit que votre maman est libanaise. Votre enfance a été en partie imprégnée par cette culture moyen-orientale, notamment avec des vacances annuelles passées au Pays du Cèdre. Votre roman parle de double culture. Avez-vous un lien étroit avec ce pays qui est en partie le vôtre ?


CB : Oui. Aujourd’hui encore presque toute ma famille maternelle vit au Liban. Je m’y rends donc aussi souvent que possible pour les voir car nous sommes très soudés, très unis malgré les milliers de kilomètres qui nous séparent. Nous avons d’ailleurs un groupe WhatsApp de la famille sur lequel nous échangeons au quotidien et nous nous téléphonons régulièrement. J’y ai également des amis que j’ai à cœur de retrouver parce que malgré la distance, ils font partie de ma vie et ils me manquent.

Par ailleurs, j’ai voulu renforcer ces liens identitaires en devenant adulte et c’est pourquoi, au cours de mes études, je me suis inscrite à l’Université Saint Joseph de Beyrouth pour approfondir mes connaissances en arabe mais aussi, et surtout, étudier l’histoire de la littérature arabe, la géographie du Moyen-Orient…




APDL : Le Liban d’aujourd’hui est en plein désastre, qu’il soit politique ou économique. Pensez-vous que ce que vous évoquez dans votre roman sur le pays soit en partie les raisons de cette situation ?

CB : Comme tous les amoureux du Liban, comme tous ses ressortissants, je suis horrifiée de constater que le pays sombre dans une crise politico-économique qui s’aggrave de jour en jour. Il est difficile d’imaginer ce qui se passe sur place en ce moment : les médicaments manquent, les denrées primaires sont inaccessibles, l’inflation est terrible et il n’y aura bientôt plus de carburant. C’est l’une des pires crises économiques de l’histoire récente que subissent les Libanais !


A mon avis, les raisons de ce voyage au bout de l’enfer sont à chercher dans une organisation institutionnelle fondée sur les confessions mais aussi, et c’est sans doute le lien que l’on peut faire avec la situation décrite dans le roman, dans une classe dirigeante -en partie issue de la guerre civile- et gangrénée par la corruption. Certains ont du mal à considérer que s’ils sont au pouvoir, ce n’est pas pour défendre leurs intérêts propres mais bien pour servir l’intérêt général.


Je ne sais pas comment nous sortirons de cette situation qui m’apparaît inextricable … mais une chose est sûre, c’est que le peuple libanais a beau être courageux et résilient, il est à bout. Il faut un renouvellement des élites, une nouvelle constitution sauf que ceux qui sont en mesure de les mettre en œuvre auraient trop à perdre pour s’y risquer.


APDL : Revenons aux livres. On dit souvent que les romanciers, avant de commencer à prendre la plume, ont été souvent de grands lecteurs. Est-ce le cas pour vous ? Et si oui, quels sont les 2 ou 3 livres qui vous ont le plus marqué ?


CB : C’est mon cas, je vous le confirme. J’ai commencé à lire de manière assidue au collège, au moment où est sorti le sixième tome d’Harry Potter, Le prince de Sang-Mêlé. La saga a tellement marqué ma génération que je ne suis sans doute pas la seule à avoir découvert ainsi le bonheur des livres. J’ai dévoré ce roman puis lu tous les autres volumes – à contre-sens. J’étais mordue !


Au lycée, j’ai découvert le Comte de Monte-Cristo de Dumas et je pense pouvoir dire que c’est une lecture qui m’a absorbée et fascinée. J’ai été hypnotisée par cette histoire de vengeance, de revanche sociale. Surtout, j’adore cette capacité qu’ont les feuilletonistes à ménager leurs effets et créer du suspens. Globalement, j’ai beaucoup de goût pour le cycle romanesque et la littérature du XIXème qui sont des valeurs refuges à mes yeux.


Il va sans dire que j’ai très vite été attirée par la littérature arabe, et libanaise en particulier. J’aime Khalil Gibran, Alexandre Najjar, Joumana Haddad et aussi des auteurs égyptiens comme Naguib Mahfouz ou Asswany.


APDL : Vos goûts littéraires ont-ils évolué avec le temps ?


CB : Oui. Plus tard, je me suis prise de passion pour « la blanche » comme on dit dans le milieu. Je me délecte de Houellebecq qui est très critiqué mais qui décrit avec une grande justesse la société de notre temps me semble-t-il. Vivant dans l’Est de la France, c’est avec beaucoup d’émotion que j’ai lu le livre de Nicolas Mathieu, "Leurs enfants après eux" qui fait le portrait d’une jeunesse désabusée dans une Moselle désindustrialisée où le chômage et la drogue sont clairement en train de prendre le dessus.


Depuis quelques années, ce sont les auteurs italiens qui m’inspirent, à tel point que j’ai envie d’apprendre leur langue. J’aime Piperno et Veronesi en particulier dont je ne saurais trop vous recommander la lecture du "Colibri", un formidable roman sur les relations père-fille et la fin de vie.


APDL : Comment vous est venu l’envie d’écrire « Oublier les fleurs sauvages » ? Le considérez-vous comme un devoir de mémoire ?


CB : Oublier les fleurs sauvages s’est imposé à moi après le décès de ma grand-mère maternelle dont on retrouve des traits dans la figure de Dibba. Nous avons célébré l’an passé le dixième anniversaire de sa mort et pourtant, il ne se passe pas un jour sans que je déplore son absence. Je sais qu’elle manque également cruellement à ma mère et à ses autres enfants. Ce texte, c’est un moyen de la faire revivre, ne serait-ce que pour quelques heures de lecture.


APDL : Amal, jeune libanaise musulmane, moderne, progressiste, et personnage principal de votre roman, s’inspire-t-elle de personnes de votre famille, ou bien n’est-elle que pure fiction ?


CB : Amal emprunte certains éléments de caractère et d’identité à ma mère, c’est incontestable. Elle lui ressemble dans son envie d’être libre, dans son iconoclasme mais également dans son impossibilité à faire voler en éclats tous les codes et toutes les rigidités qu’elle déplore. Je suppose qu’il y a également beaucoup de moi et de mon imagination en elle. Amal est un espoir, une hybridation entre la réalité et la fiction.


APDL : Quand vous vous mettez en mode « écriture » pour écrire, avez-vous besoin d’un endroit, d’un environnement particulier, quels sont vos moments privilégiés pour écrire ?


CB : Il n’y a pas vraiment de modus operandi particulier mais une chose est sûre : j’ai besoin d’avoir du temps devant moi et de ne pas être dérangée. Lorsque je travaille, je n’écris pas, je n’ai pas la tête à rédiger le matin ou le soir alors que je me suis occupée de choses très pragmatiques, très concrètes et utilitaires toute la journée. Les vacances sont donc la période la plus favorable à l’écriture. En général je m’y mets tôt le matin ou tard le soir, quand tout est calme, que le monde ralentit.


APDL : Avez-vous besoin d’un long travail préparatoire avant de passer à l’écriture pour construire le roman, les personnages, ou bien l’histoire du roman et des personnages avance-t-elle avec vous au fil de l’écriture ?


CB : L’écriture ne me prend pas trop de temps en elle-même. Ce qui est vraiment engageant, c’est la longue période pendant laquelle je me documente, je me renseigne, je rencontre des personnes, visite des lieux et au cours de laquelle je ne note strictement rien, je mène une sorte d’enquête au cours de laquelle je classe tout dans ma tête, sans rien consigner à l’écrit de sorte que les différents éléments puissent s’ordonnancer à leur guise.


APDL : Certains auteurs disent écrire leur roman en 2 ou 3 mois, pour d’autres un roman met parfois plusieurs années à être écrit. Vous vous situez plutôt de quel côté ?


CB : Plusieurs années à collecter des informations et à peine quelques mois pour rédiger, in fine. Une précision quand même, j’ai rédigé trois fois le texte dans son intégralité donc si on met le tout bout à bout, il m’a tout de même fallu cinq ans.


APDL : Vous m’avez dit lors de notre entretien que vous aviez un nouveau projet d’écriture. Pouvez-vous lever un peu le voile sur celui-ci ?


CB :Je ne veux pas trop en dire au risque de m’engager démesurément mais, depuis que je vis en Alsace, je travaille beaucoup, dans le cadre de mon métier, sur les conséquences de la seconde guerre mondiale sur les vies des habitants de cette région qui a été largement ballotée entre la France et l’Allemagne. De ce fait, je suis en contact avec des associations d’anciens combattants, de déportés, d’internés, de résistants… certaines rencontres m’ont inspirée des histoires que j’aimerais partager parce qu’elles sont à la fois belles et tragiques et qu’elles expliquent des identités encore très fortes aujourd’hui. Il y a sans doute quelque chose à écrire de ce côté-là.



APDL : Au Plaisir de Lire a aussi son Questionnaire de Proust littéraire. Voulez-vous vous prêter au jeu de nos 5 questions ?

  • Quel est votre livre préféré ? Difficile de dire si c’est La Promesse de l’Aube ou Le Premier homme…

  • Quel livre regrettez-vous de ne pas avoir lu ? Les Mémoires d’Hadrien mais je vais y remédier très prochainement, il est sur ma pile de livres.

  • Quel est votre auteur préféré ? Albert Camus

  • Quel livre conseillerez-vous en ce moment à lire ? Vies minuscules de Pierre Michon que je savoure avec beaucoup de délectation en ce moment. Quelle maîtrise de la langue, quelle poésie, quel style !

  • Si votre prochain livre devait être le dernier, quel thème voudriez-vous évoquer ? Comme indiqué plus haut, je parlerais de l’Alsace et de guerre.


Céline, un grand merci pour cette interview qui va permettre aux lecteurs de mieux vous connaître.


Nous vous souhaitons par avance un beau succès littéraire avec « Oublier les fleurs sauvages ».


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